JEAN-LOUIS AUBERT : LES PARAGES DU VIDE (1)

aubert chante houellebecq (cover 1)

7 mai 2014. 13h20. Paris 6e. Bistrot des Amis. « Ah parce que tu veux qu’on se mette ?! », me lance dans éclat de rire plein de pattes d’oie et de fossettes Jean-Louis Aubert. Il vient d’arriver tranquilou, avec son bonnet et son air débonnaire à la cool, genre rasta tiré du lit. On doit parler de musique et philosophie (de vie, de vie !) pour le compte de Philomag à l’occasion de la sortie d’Aubert chante Houellebecq – Les parages du vide, prévue le 14 avril. Il s’agit d’une (belle) mise en musique de poèmes issus du chapitre Les Parages du vide du dernier recueil de notre plus célèbre écrivain vivant, Configuration du dernier rivage. « Bon ça va, t’es mignon ! », ponctue JLA, hilare.

Ça commence fort. Au jeu du jeu de mot, du bon mot, drôle, spirituel, je viens de me faire avoir moi qui lui demandait juste : « Où veux-tu qu’on se mette ? » face au choix cornélien qui nous est offert entre s’attabler à l’intérieur et être dérangé par la promiscuité des clients et s’attabler dehors et être menacé par l’incertitude du ciel. Ceci dit, je sais au moins une chose : on va pas se vouvoyer. En l’attendant, partant du principe que je serais plus à l’aise si on se mettait à un peu l’écart et que, comme moi, il aurait sans doute envie de fumer au cours de cette longue interview à la pause déjeuner, je me suis mis en terrasse. Banco pour lui. On a le temps devant nous. C’est parti.

« Michel c’est l’extase romantique, la vraie »

 

aubert et houellebecq extase romantique

Bonjour Jean-Louis. Philomag, tu connais ?
Ouais. J’oublie souvent de l’acheter (bruit de briquet, première clope) mais j’adore. Tu peux m’y abonner pendant un an au moins ?

Je peux faire la demande ! Quelle est ton adresse ?
(S’approchant du micro) « Jean-Louis Aubert, 5 rue de (bip !), 75006 Paris. » Enregistre la.

Voilà. « S’il vous plait Monsieur » !
« S’il vous plait Monsieur, si je peux être abonné bah j’aime bien. » Oh, pas mal le rayon (le soleil vient de faire son apparition au moment où son attachée de presse m’apporte les petites feuilles qu’elle m’avait promises, et il dit : « Hey, dis donc, t’as vu ce que tu viens de faire ? »)

Avant que tu arrives je demandais à Sophie comment se passait ta promo pour cet album…
C’est très dur.

C’est très dur ?
Ouais.

Éprouvant ?
Ouais. Très. J’ai eu des jours pires. Mais hier de répondre aux questions j’en pouvais plus… Enfin c’est de ma faute hein.

Ah ok, tu n’es donc pas ironique !
Nan, nan, nan. Mais j’adore la promo en général. Enfin j’adore, disons que je trouve ça quand même remarquable d’avoir la chance de pouvoir accéder aux médias. Ils sont les fils de marionnettes de la société et je peux rentrer dans les journaux télévisés, c’est pas rien, y’a quand même une ambiance là-bas. Par exemple j’aime bien La Chaîne Parlementaire et j’ai pu y être interviewé… 

Ah c’est marrant car Houellebecq a souvent dit qu’il aimait aussi regarder LCP…
Oui, lui la regarde le matin et moi le soir. Là-bas t’as une fille qui s’appelle Sonia (Mabrouk – nda), qui dans le débat maîtrise assez bien tous les petits rats de l’Assemblée qu’ont une grande gueule, et qu’est très jolie. Elle est tunisienne d’origine et pour moi c’est un rêve cette fille. C’est une femme moderne, intelligente et j’ai eu la chance d’être interviewé par elle donc voilà, ça c’est des super expériences, de belles surprises en terme de rencontres de personnalités mais sinon au bout d’un moment ça laisse souvent très vide de parler tout le temps de soi et d’être attentif. Quelque fois, sans y faire attention, tu repenses à c’que t’as dit, tu te dis que tu l’as vraiment très très mal formulé et que tu aurais pu être beaucoup plus bref et que c’était ça qu’il fallait dire. Ou quelque fois on fait des blagues et on regrette après, on se dit : « Merde… »

« Ça ne va pas être compris et ça va se retourner contre moi… »
Oui, mais bon je relis pas tellement ce qui se publie sur moi, j’essaie de pas trop regarder ça sinon c’est pire ! Si tu te mets à regarder ce que t’as dit…

Ça devient quasiment un travail, un truc à devenir parano, control freak…
Oui, voilà. Mais ça fait partie des rôles du chanteur. Oui, c’est quand même un peu spécifique aux chanteurs hein et aux politiciens. On attend moins ça de l’écrivain ou du peintre. La promo, les acteurs en chient à fond, mais les metteurs en scène n’y vont pas ou très rarement quoi.

Oui, c’est lié à la nature performative et exhibitionniste des métiers de chanteur et d’acteur…
Oui et justement je suis très ami avec Philippe Garrel, qui est vraiment sur une économie totalement différente et donc qui se fout si ses films marchent ou pas, et quand il me voit il me dit : « Ah, c’est dingue comment tu travailles ! Pourquoi tu fais tout ce travail après ? Ah bon, c’est une économie comme ça la chanson ? » Enfin voilà, c’est pas qu’économique mais ça l’est principalement quand même. Ça s’appelle de la promotion. Alors maintenant je te rencontre pour Philosophie Magazine, c’est pas rien, je me dis que ça va être intéressant et y’a des tas de rencontres intéressantes mais y’a aussi cette question : « Est-ce que ça bouffe ta vie privée ? » Oui, qu’elle soit bonnes ou mauvaises ces entretiens bouffent un peu de ton temps et de ta vie privée, et ta créativité future. Par exemple là je voudrais bien préparer la tournée et je peux pas donc ça m’énerve. Mais bon, la promo c’est aussi un grand entraînement parce que tu t’attends à des choses et ce sont pas elles qui arrivent donc ça te rend souple. C’est-à-dire qu’il faut rester très attentif, tu peux arriver dans une radio d’aspect très commerciale où quelqu’un va être très très sincèrement ému par ce que t’as fait. Et une interview que tu aurais imaginé être très vicieuse et bien elle l’est pas du tout, alors qu’inversement telle interview qui te paraissait pas du tout l’être et bien elle l’est vraiment.

Tu es sujet à des interviews vicieuses ?
Oui, un petit peu, parce que la presse est très menacée donc il faut toujours du scoop.

Ou du « bashing », des positions bien manichéennes, tranchées pour exciter le lecteur. En préparant cet entretien je suis tombé sur l’article que Nicolas Ungemuth a consacré à ton nouvel album sur le site du Figaro et il tire bêtement à boulets rouges, je trouve…
Ouais, mais ça c’est pas vicieux, lui il s’investit, après on le trouve con ou pas. Non, ce qui est plus vicieux c’est Le Parisien qui te parle de tas de choses et puis quand t’as vraiment tout fini, que c’est presque du off, on te demande : « Pour qui t’as voté ? Avec qui t’es » ou encore : « On attaque les Enfoirés. Qu’est-ce que t’as à répondre ? » Des trucs comme ça (rires) !

Je vois. Et bien réponds à ces questions comme ça ce sera fait !
(Rires). Et ce qui est assez curieux c’est que quelque fois la personne qui s’occupe de l’article est plutôt fan de musique, mais si on la maintient à ce poste c’est parce qu’elle amène des choses extra musicales comme ça. Donc si tu réponds à la question « Pour qui tu votes ? », ça va être le titre de l’article. Ça va pas être autour de l’idée que ton album est bien.

Oui, malheureusement c’est pas ça qui fait vendre du papier, c’est plutôt du sensationnel : « Untel a fait ci, untel a fait ça », ce genre de délations people.
Oui, par exemple : « Madonna n’aime pas ses disques ». Voilà les nouvelles de ce matin.

Y’avait un article sur ça ?
Oui : « Je n’ai jamais aimé la musique que je faisais ».

Ahahah, c’est le stade terminal de l’astuce marketing : qu’est-ce que pourrait dire Madonna pour redorer son image après ses décevants derniers albums. Hé bien qu’elle n’a jamais aimé ce qu’elle faisait. C’est génial !
(Rires.)

3. jean-louis-aubert,M146536

J’ai vu que tu avais fait la couv’ de Rock&Folk pour la sortie de ce nouvel album. Ça, c’est important pour toi ?
Bah déjà ça m’a permis de renouer des liens avec Philippe Manœuvre avec qui y’a quelque fois eu de l’eau dans le gaz…

Parce que…
Parce que des fois je lui ai fait faux bond sur des choses autour de Téléphone où je disais : « Moi non, je fais autre chose, la page est tournée. » Voilà, ça il a pas trop aimé. Mais on a quand même… des trajectoires assez parallèles. Il était là à nos premiers albums… Y’a des petits comptes quoi ! C’est comme ça quand on a été assez proche pendant longtemps, y’a parfois des petites luttes intestines. Par exemple y’a aussi le truc que quand il a été jury (dans le cadre de l’émission A la recherche de la Nouvelle Star – nda) et tout ça bah moi je le regardais avec un sourire narquois et il savait que je le regardais avec un sourire narquois ! Parce que voilà pour moi quand t’attaques les gens sur l’air de : « Est-il toujours rock ? » (la question leitmotiv du magazine Rock&Folk – nda), bim quoi ! Donc dans mon regard il captait ça ! Le retour de badine. Voilà, c’est des choses comme ça. Et puis dans nos périodes de froid je me prive pas de lui rappeler que sa première critique sur Téléphone disait : « Ce groupe n’a aucun avenir. » C’était dans Métal Hurlant.

Voilà, je pensais plutôt que tes liens avec Manœuvre étaient moyens parce qu’un groupe comme Téléphone ne correspondait pas à la « rock credibility » dogmatique, c’est-à-dire généralement anglophone, chère à R&F
Sur le coup oui, mais après il a adoré et il a vénéré et c’était presque devenu notre biographe attitré. Il a même participé quelque fois au choix du nom des albums. Mais au premier album il a dit : « Les paroles sont nulles et tout ça » donc y’a toujours un peu ce truc…

Oui, moi je croyais que pour eux toi et Téléphone en étiez resté à incarner ce qu’ils jugent comme la tare originelle du « rock français », c’est qu’il s’exprime comme son nom l’indique en français et que ça c’est pas cool, pas rock…
Non, non, ils ont bien adhéré quand même, surtout à Téléphone. Après ça a été un petit peu plus tiède (il parle de sa carrière solo – nda) m’enfin dans ces cas-là il (Philippe Manœuvre donc – nda) envoyait quelqu’un d’autre. Mais bon je pense que ça n’a aucune importance hein.

J’en suis pas sûr car quand je considère cet album que tu as réalisé à partir de certains poèmes de Houellebecq… Je l’appelle Houellebecq mais tu l’appelles sans doute Michel…
Ça dépend…

Hé bien je me dis que c’est surtout lui la rock star. En France, c’est clairement lui la rock star, c’est lui qui incarne le plus ce concept anglo-saxon qui mêle soufre, succès et popularité. Il est d’ailleurs notre écrivain actuel le plus célébré à l’étranger. J’ai donc pas mal le sentiment que outre ses textes tu bénéficie de son aura sur ce projet et que c’est ce qui fait que tu, que vous avez fait la couve de Rock&Folk.
Ah, je me rends pas compte de ça par contre (il allume une deuxième clope – nda). Mais à bien regarder son comportement et l’aura qu’il a, et la liberté qu’il a ou qu’il impose, c’est sûr que c’est l’une des personnes qui rentre le mieux dans ce modèle… alors « rock star », j’aime pas le mot… même « rock » ça veut plus dire grand chose… mais oui, dans ce moule c’est la personne la plus forte que j’ai rencontrée durant ces dix dernières années. C’est la vérité.

Il produit quelque chose de noir et d’accessible. Il fédère et divise.
Oui et puis y’a aussi… le côté un peu suicidaire de l’accomplissement artistique, qui est assez fort… que j’ai peut-être aussi dans une moindre mesure, ce côté si tu travailles, tu clopes et tu bois et ça passe un peu avant tout. Ce côté sacrificiel un peu curieux. Houellebecq est totalement là-dedans. Garrel est très très contre ça (rires) !

C’est vrai ?
Oui, oui, oui, quand on se voit il me dit toujours : « Mais non, non, non, méfie-toi, c’est la vie qu’est le plus important ! » Et ça m’énerve (rires) !

Ce partage, ce dilemme entre l’art, le travail et la vie c’est de cela dont il était question quand tu parles d’« échange sur les 100% dans l’art et 40% dans la vie » dans ta correspondance avec Houellebecq qu’on peut lire mail à mail dans le petit livre qui accompagne le disque ?
Ouais. Et après en fouillant ce dialogue, il m’a révélé qu’il est pas du tout à l’aise dans la vie sociale, ça m’a rappelé un peu L’Albatros de Baudelaire, et en fait il a une vie sociale pratiquement parfaite avec ses personnages de roman. Donc quand il part à l’étranger il ne parle français qu’avec eux et cette vie sociale avec ses marionnettes lui convient beaucoup mieux que cette vie un peu moins contrôlable de la rue.

Que la vie du monde extérieur.
Voilà, du monde extérieur. C’est pas évident pour lui. Alors que moi je suis tout le contraire.

Tu as plus de facilité à te satisfaire de la vie sociale, du monde extérieur ?
Oui, je suis très très à l’aise dans la rue, j’adore être dans le quartier, j’aime biens les gens aussi mais j’ai mes périodes renfermées aussi et puis je sais pas non plus à quel point c’est pas aussi un peu une manière d’être un peu stratégique toute cette affection que j’ai pour les autres, à les regarder passer, tout ça… J’aime bien les contempler comme ça, j’ai pas le dégoût que lui a…

C’est ce qui fait la complémentarité de ce projet…
Ouais, c’est un peu le verre à moitié vide et le verre à moitié plein. On est au courant de la même chose mais lui va se fixer sur les manques, parce que ça va résonner en lui et moi je vais me fixer sur mon adoration pour la petite grace passagère (il allume une troisième clope – nda).

3. AUBERT ET HOUELLEBECQ CLIP

Que connaissais-tu de Houellebecq avant que ce projet ne voit le jour ? Qu’avais-tu lu de lui avant Configuration du dernier rivage dont tu as tiré ces chansons ?
J’ai beaucoup aimé Extension du domaine de la lutte, à une époque où j’étais déprimé alors bam ! J’étais encore plus déprimé. C’est venu me cueillir comme certains trucs de Cioran, ça nourrissait mon intelligence mais ça me ramenait aussi à une vérité, celle qui ressemble à certains hôtels de Province, à une période où je me cherchais. C’était juste après l’album Stockholm (sorti en 1997 – nda).

Stockholm qui est un album assez compliqué d’ailleurs, sombre, riche, sophistiqué.
Oui, il était compliqué et il ressemble un peu à cette période, où j’essayais de tourner une page, d’opérer une transition, de chercher quelque chose qui me mette en porte-à-faux pour la suite.

Genre, on casse les murs.
Oui, on casse les murs, et ça peut avoir des conséquences. Je sais pas les conséquences de cet album mais ça m’a fait forcément progresser.

Tu sens qu’il est charnière pour toi cet album que tu viens de sortir ?
Au départ il me paraissait « parenthèse » mais en fait il ouvre des possibilités (rires) au niveau de la densité de l’écriture et du format des chansons. Tout d’un coup j’ai tendance à trouver mes anciennes chansons plus faibles, mais plus « chanson » aussi. Le truc c’est qu’à cause de la musique, on laisse souvent passer plein de choses niveau texte, on se permet de répéter plusieurs fois la même phrase par exemple, et là c’est pas le cas, et cette pureté de la chose est assez étonnante, parce qu’en plus c’est souvent très personnel les poèmes, là on est proche du carnet intime. Enfin plus qu’un texte habituel de chanson. Beaucoup de gens écrivent des petits poèmes qu’ils ne publieront jamais quoi, c’est souvent des choses écrites pour soi-même. Et là avec Michel, dans Les parages du vide, on est souvent sur des élans d’amour très très profonds donc voilà, c’est très fort. Et c’est assez curieux vu que c’est quelqu’un de renfermé qui a la réputation d’être misogyne…

Son image est sans doute en décalage avec ce qu’il est vraiment, comme c’est sans doute aussi le cas pour toi. Vous faites tous deux l’objet d’une caricature de votre vraie nature, forcément plus complexe, nuancée qu’on ne le pense…
Voilà, c’est ça. Et Michel a une vision de l’amour féminin absolument pure et très très haute alors que moi c’est quelque chose de plus d’un peu plus universel, ce qui peut déranger certains…

Une vision plus humaniste de l’amour.
Plus humaniste, voilà. Ce qui n’empêche pas d’avoir des pics pour une fille mais c’est un sentiment qui peut aller vers un enfant, un animal, un ou une inconnu… Pour moi c’est ça le grand amour aussi. Alors que lui c’est genre : « La vie n’est rien sans ça ». Garrel est comme ça aussi. Je crois que tout ça c’est lié à des histoires d’enfance.

Oui… Et il y a parfois beaucoup de tendresse dans ce qu’écrit Houellebecq, c’est souvent niché dans ses poèmes ou ses personnages féminins et il y a toute une frange du public qui doit donc mal le lire voire ne pas le lire et qui se fait donc une mauvaise image de lui en s’en tenant à la figure du vieux type cynique, nihiliste, misogyne, et pour tout dire assez « Gainsbarienne », que brossent certains médias pour vendre du papier. Dans tout ça, ton album rend enfin pleinement visible cette facette sentimentale limite fleur bleue de Houellebecq.
Oui, c’est comme un coup de projecteur lié à mon regard. D’ailleurs je pense que je l’ai un peu vu comme je regarde la vie et les gens dans la rue et tout à coup ça m’a surpris. Dans la littérature, à cause de son histoire et de son besoin de vérité – mais on trouve aussi ça dans les films des frères Cohen, par exemple – si y’a pas du sang au départ c’est pas bon, ça veut dire que l’amour sera trop nunuche ou de l’ordre de la comédie humaine et sociale. Donc non, il faut tout de suite chercher dans des choses narquoises et sanglantes avec trois crimes pour se présenter et après on verra éventuellement un peu de grâce, si on a le temps (rires) !

Oui !
Et c’est pas mal aussi mais je pense que ça va chercher un autre public, qui est plus confronté à ça, des gens qui sont peut-être plus solitaires, un peu taciturnes et tout, des gens qui iront voir au-delà de ce sanglant bonjour parce qu’il le fera penser : « Tiens, on est sur la même longueur d’ondes… » Et c’est souvent des gens qui sont eux-mêmes capables d’atteindre cette extase romantique, parce que c’est de ça sont il s’agit avec Michel, c’est l’extase romantique. Et la vraie. La vraie. Et c’est d’ailleurs curieux qu’avec son visage, sa présentation, tout ça il cherche encore La Femme…

C’est bien ce que je dis, il a un côté fleur bleue.
Ah bah c’est aussi un hidalgo en fait. A fond. Avec une extrême méfiance, que j’aie aussi, pour l’instinct grégaire de l’humanité. L’histoire du troupeau. C’est très méchant le troupeau. Moi, par exemple, les stades de foot ça me fout la trouille. Les concerts un petit peu, mais bon c’est moi qui suis un peu aux commandes et mon message est quand même très tempéré. Et même si y’a de la violence sur scène, elle est toujours considérée comme quelque chose d’orchestré, d’encadré. Regarde Marilyn Manson et tout, le public qui va voir ça considère toujours que la personne sur scène exprime sa rage contre ceux qui ne sont pas là et les gens qui sont là adhèrent et prennent ça comme un message d’amour pour eux-mêmes (sourire).

Oui, il y a là un malentendu fondamental.
Oui, c’est comme quand Alice Cooper déchirait ses posters et nous les jetait en les frottant sur son sexe et tout. On partait du principe qu’il faisait ça contre nos parents. Et nous on prenait le bout de poster (rires) ! On considérait pas qu’il pouvait aussi nous insulter au passage en faisant ça. Pareil pour les punks quand ils se crachaient les uns sur les autres, on se disait que c’était pour l’image extérieure et que c’était pas : « Je te crache dessus parce que je te déteste ». En fait ça voulait dire : « Je t’aime ». C’était plus une marque de reconnaissance que de différenciation. On retrouve donc là aussi cet aspect grégaire mais sur l’air de : « On se sert les coudes parce qu’on a froid. » Et lui aussi (Houellebecq – nda) c’est plutôt un espèce de roc solitaire. Il fuit beaucoup, il ne veut pas trop être dérangé, il part souvent à l’étranger, et il disparaît du jour au lendemain, sans téléphone, sans internet (il allume une quatrième clope – nda).

5. HOUELLEBECQ-AUBERT

Sachant cela, ça n’a pas été trop dur de le contacter ?
Non, il est à peu près là au rendez-vous, en tous cas avec moi et pour l’instant. Non, non, non, pas du tout, ça a pas été dur de le contacter. Pas du tout. Pas du tout. Mes collaborations avec Philippe Garrel et Michel Houellebecq c’est deux histoires qui se sont enchaînées. Philippe Garrel c’est lui qui m’avait écrit une lettre (en fait Aubert a composé à la guitare la bande son de son film sorti en décembre 2013, La Jalousie, et Garrel raconte cette collaboration sur cinezik.org – nda). Et c’est deux personnes dont on dit qu’elles sont très intellectuelles alors qu’elles ne le sont pas. Enfin elles le sont intrinsèquement mais en fait à leur contact… Je sais pas, Michel Houellebecq te demande pas ce que t’as lu et Philippe Garrel ne te demande pas combien de fois tu vas au cinéma par semaine (rires) ! Ils s’en foutent.

Ils ne sont pas dans une démarche « culturée ».
Nan. Nan. Et c’est assez hum rassurant. Tu te rends compte que c’est surtout les commentateurs qui les mettent dans ce camp-là, et c’est comme si moi inversement j’étais uniquement dans la musique alors que non je suis plutôt curieux de la vie et d’autres choses. Je peux aussi parler de Balzac avec Michel en en ayant lu qu’un petit livre quand j’étais petit et huit pages de temps à autre. Je connais bien le personnage et quand Michel m’en parle le personnage vit devant moi. Parce que lui est un vrai passionné. Mais lui il vit vraiment dans les bouquins. C’est pour ça qu’il écrit comme ça. Et moi, de la même manière, tout ce temps qu’il passe à lire tous les jours, je le passe à gratter ma guitare. D’ailleurs y’a peu je me faisais cette réflexion que tout ça c’est vraiment des stratégies enfantines et je crois que c’est le principe de tous les êtres un peu passionnés, c’est qu’ils sont presque dans une démarche régressive.

Ouais.
Au 18e siècle, à l’époque de Madame Bovary, il fallait pas que les filles lisent parce que ça leur mettait soi-disant des idées dans la tête et pareil pour les garçons, leurs parents préféraient qu’ils aillent chasser à cheval. Enfin surtout pour les enfants de seigneurs et tout ça. On avait peur qu’ils s’émancipent, un peu comme les mômes d’aujourd’hui qui jouent toute la journée aux jeux vidéo. Les mômes du 18e siècle c’était un peu des geeks de la littérature. Ils restaient aussi dans leur coin. Et quand Michel rentre en lecture et tout, il se sent bien et moi quand je suis triste ou que j’en ai marre des interviews et tout (petit sourire), si je joue un peu de guitare je me sens bien.

Chacun a son élément un peu océanique…
Oui donc c’est pas une soif de culture, c’est plus comme jouer aux Légo ou aux jeux vidéo (sourire), c’est une espèce de jeu de construction qu’on a trouvé et voilà, pour certains ça peut être difficile de lire mais pour Michel c’est beaucoup plus facile que d’aller acheter des choses à l’épicerie, je pense. Ça me fait penser au Robinson Crusoé de Tournier (Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, variation romanesque de 1967 du mythe de Robinson Crusoé écrit en 1719 par Daniel Defoe et qui se focalise ici sur la relation entre le naufragé Robinson et le sauvage Vendredi – nda). Dans ce livre y’a une flaque de boue tiède, et le gars sur l’île il est vraiment seul, il essaie de survivre, de se faire sa maison et quand il en peut plus il va se coucher dans cette flaque de boue odorante…

Comme une couverture.
Oui, ça rappelle un peu le ventre de la mère. C’est une non-occupation, c’est régressif. Et ce qui est génial c’est de trouver des stratégies régressives utiles pour qu’au cœur de cette régression tu fasses finalement quelque chose qui te fasse vivre. C’est pour ça qu’on peut pas dire qu’on fasse un métier. On est dans un centre d’intérêt et c’est peut-être ça qui est rock finalement. C’est le côté passionnel de la chose, qui peut s’appliquer à un menuisier, à un peintre… (un petit « Bonjour » vient de faire irruption à nos côtés, « hors caméra », et de percer notre conciliabule, c’est une jeune femme qui promenait son chien dans le quartier, il lui dit « Bonjour » d’un naturel désarmant, naturel qui contient déjà son « What else ? », et dans un rire de pucelle qui se tord les cuisses de gêne et d’excitation elle dit : « Je crois que je vous ai reconnu : vous êtes Jean-Louis Aubert ! », instant surréaliste où on a l’impression qu’il y avait un grand jeu auquel on n’a pas été convoqué, et que ce jeu consistait aujourd’hui à reconnaître Jean-Louis Aubert dans la rue du Cherche Midi, comme on aurait enfin trouvé où est Charlie, du coup Jean-Louis essaie de se dépatouiller avec cette patate chaude, de cacher sa gêne et son envie de s’en défaire de manière trop abrupte, en signe de reconnaissance, il dit : « Oui, bonjour », elle : « Vous savez que j’adore ce que vous faites ! », elle fond littéralement sur place, flaque, flaque, c’est assez perturbant, elle dit : « Je pourrais avoir une photo ? » et lui, toujours courtois, classe et décontract en apparence : « Oh, je suis en train de faire une petite interview mais on se reverra dans le quartier », elle : « Ouais, de toute façon je suis du coin », lui, y mettant un petit rire sympa, genre copain et un peu jaune aussi, genre lâche moi la grappe maintenant : « Ouais, au revoir », elle : « Bonne journée, au revoir ! » et elle s’éloigne et alors qu’elle est partie il laisse glisser un petit rire complice, entre nous – nda).

Bah oui, j’imagine que ce genre de choses t’arrivent souvent ! Drôle de « métier » en effet !
Oui, parce que justement c’est autre chose….

Tu en parles d’ailleurs dans une de tes dernières chanson (« Maintenant je Reviens », sur Roc Éclair, son avant dernier album, sorti fin 2010). Tu dis : « Je reviens chanter / Est-ce bien un métier ? »
Oui, oui, c’est ça. Et quand j’ai fermé la porte du studio après la mort de mon père, y’avait l’absence de bras pour me prendre et c’est la musique qui m’a pris dans ses bras. C’est peut-être aussi pour ça que je me confie à elle. C’est assez puissant.

Il y a ce double mouvement d’accueil et de dévoilement.
Oui, et plus t’es un petit peu fendu, triste, plus la musique réagit bien. Parce qu’en fait quand t’es très conquérant après quand tu réécoutes, t’entends la conquête quoi, le mec gueulard et tout et sur scène c’est un peu too much. Y’a un peu ce côté démagogique d’aller vers l’autre. Alors que pour moi c’est quand c’est intime que tu vas le mieux vers l’autre parce que du coup c’est tellement intime que ça devient universel, ça raconte un truc où chacun va dire : « Ah, putain, c’est ce que je ressens… »

(A SUIVRE.)

6. IMG_6180 (c)Barbara d'Alessandri

Images 4 et 5 tirées du clip de « Isolement »

Photo 6 par Barbara d’Alessandri

2 réponses
  1. Stéphane
    Stéphane dit :

    Salut Sylvain,

    Madame Bovary au 18ème siècle, ça va faire mal aux yeux des lecteurs de Philo Mag.

    Bonne interview, comme d’hab.

    Stéphane de BX.

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