JAMES IHA

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6 décembre 2012. 18h30. Un mail. « L’interview sera pour quel support ? James fait peu d’interviews mais je vais voir ce qu’il est possible de faire. » A peine ai-je appris la chose (l’ex-guitariste des Smashing Pumpkins a enfin sorti un deuxième album, Look to the Sky, fin septembre) qu’après un saut sur son site un mail est parti à l’adresse de son label US et hop, la réponse de son RP français me tombe toute crue dans le bec. Bon, c’est pas gagné, mais en 3 heures chrono (Ground control to major Tom), c’est un grand pas pour l’homme. Le contact est bon, l’album en route vers chez moi. Bel effet papillon. Merci Billy du groupe Staircase Paradox pour l’info primordiale, merci internet. Cinq jours plus tard, le feu vert : « L’interview pourra se faire par mail. Tu peux m’envoyer tes questions et ta deadline. »

J’ai tardé à me mettre en mouvement, et pour cause : l’album étant déjà sorti depuis plus de deux mois et l’article étant pour mon site, je n’avais d’autre deadline que celle de mon bon vouloir (l’agenda setting de mes propres désirs, forever after) et comme il s’agissait du cofondateur d’un de mes groupes préférés (en provenance des 90’s, mon adolescence, tout ça), je voulais prendre le temps de bien préparer mes hameçons pour quadriller la zone et aller au fond du sujet. Et comme j’étais déjà dans d’autres textes (Iggy Pop, ALGK) et que les fêtes de Noël approchaient à grands pas, Hakuna Matata, quoi. Puis bon, c’est pas comme si les interviews mail étaient des moments d’extase, quand bien même t’as Dieu on the line. En plus, comment dire ? C’est pas comme si cet album était l’album du siècle.

Globalement l’album a plu aux critiques. Il a été considéré comme un « vrai beau travail », qui « méritait 14 ans d’attente ». L’un a noté que « ce nouvel effort voyait l’ex-guitariste des Pumpkins se lancer dans une myriade de nouvelles influences » comme s’il jouissait « enfin de sa légitimité de pionnier du rock indé des années 90 » et loué en James Iha un « maître de la compo et de l’arrangement ». Comparé au Smashing Pumpkins de 2012, Oceania, un autre a dit que cet Iha était « un bol d’air frais ». Mais il y en eut aussi pour trouver que ces « chansons d’indie rock has been » seraient « passées inaperçues parmi des morceaux de Semisonic et de Marcy Playground« . Bon, mais là globalement, je traduis de la page Wikipedia ! Ce que j’en pense, moi ? Je pisse sur ces putains de Pitchfork guys.

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Comme souvent, la vérité (oui, oui, la vérité) est ailleurs, à l’intersection (au croisement des genres ?). Oui, ce Look to the Sky est bon, au sens d’œuvre artisanale, bien tournée, solide, à l’épreuve du temps, et oui, dans le même temps il renvoie au passé, mais passé au sens d’intemporel, de proverbiale Madeleine. Il ne paie pas de mine, au début du moins, mais on s’y attache vite. On est bien dedans. C’est comme une radio qui ne passerait que des tubes, une balade en caisse vers les mystérieuses cités d’or. D’ailleurs l’album sonne comme s’il avait nappé de rayons électriques/électro les pures Madeleines americana-pop de son premier solo, Let It Come Down. Tout brille, crazy délicieux. Iha, enfant du soleil ?

Ah ! Ce sentiment de retrouvailles dès l’amorce de la première écoute du premier single, « To Who Knows Where », le lacis de cette guitare chien fidèle, mi The Cure mi The Edge. Sa lumière qui fuzz horizontale, sa petite araignée au plafond, son invitation au voyage, c’est baume au cœur, vacances, j’oublie tout. Et ce « Speed of Love », deuxième single, qui te donne d’emblée les clés du château. La chanson commence à peine qu’elle semble déjà finie, comme si tout se jouait dans les trente premières secondes : « un bon signe » comme le disait un jour Jean-Benoît Dunckel de Air (au sujet de « Surfin’ On A Rocket »), ça veut dire que « le couplet est impatient du refrain », qu’il est « bien ». « Voire mieux que le refrain » avait précisé Nicolas Godin, l’autre moitié du duo. Pop, promesses tenues.

En fait, avec son métissage (il est américain d’origine japonaise), sa nature de troubadour (il chante l’amour courtois, l’âge d’or de la pop) et sa productivité pour le moins espacée, ce sweet child o’ nine(ties) m’a toujours rappelé Laurent Voulzy. Notre Lolo d’outre-mer. (Et dans une moindre mesure Andy Yorke, petit frère de Thom Yorke). Car qu’est-ce que Look to the Sky, si ce n’est une sorte de Rockollection (l’inverse des albums de pop-rock sophistico-torturés de Radiohead et des Smashing Pumpkins), le collier de perles léger, immarcescible, « the stone around my neck », comme chantait Andy. Oui, il est comme ça James : radio son, radieux-friendly. Le 25 et 26 janvier, j’ai enfin envoyé mes questions, segmentées en deux parties. Le 7 février, il y a enfin répondu. James et la pêche géante ?

« la route est plus dure, mais plus beau le voyage »

 

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Bonjour James. Look to the Sky est sorti voilà 4-5 mois maintenant. Tu as déjà fait quelques concerts avec ces nouvelles chansons. Quel est donc ton sentiment sur tout ça ? Es-tu satisfait des concerts, de la réception journalistique du disque et des ventes engendrées, si jamais tu as un retour là-dessus ?

Ce qui compte pour moi c’est de faire un bon disque et de bons concerts. Là, je suis content du disque, des chansons comme de leur production, et les concerts qui ont suivi sa sortie restent pour moi des moments d’apprentissage. J’ai beaucoup d’expérience en tant que guitariste mais j’ai rarement été le chanteur, alors à chaque fois que je me retrouve dans ce rôle, c’est nouveau pour moi : marrant, et parfois effrayant. Après, pour ce qui est des ventes et de la « réception journalistique du disque », tout ça est hors de mon contrôle. Je suis content si les gens aiment le disque et s’il se vend correctement, mais voilà, je n’y pense pas plus que ça.

Je n’étais pas au courant que tu jouerais à la Maroquinerie à Paris, le 5 décembre dernier. Comment c’était ?

C’était bien. Comme c’est une petite salle, on a joué assez sobre, acoustique. La salle et le public étaient bons. La nourriture aussi !

J’ignorais même que tu avais sorti un nouvel album. Il s’est passé 14 ans depuis ton premier album solo, Let it Come Down. Pourquoi tant de temps entre les deux ? C’est juste que tu n’es pas un songwriter prolifique ?

Je suis un musicien actif mais, oui, je ne suis de toute évidence pas un songwriter prolifique. En fait, la vraie raison de cette attente c’est que je n’ai commencé ce disque qu’il y a 3 ou 4 ans. Après la séparation des Pumpkins, j’ai eu besoin de temps pour recharger mes batteries et travailler sur d’autres choses (en jouant par exemple de la guitare pour A Perfect Circle, Chino Moreno de Deftones, et sortant les disques d’autres groupes tels que Fountain of Wayne et Albert Hammon Jr.  des Strokes sur Scratchie Records, le label qu’il a fondé en 95 avec l’ex-Pumpkins D’arcy Wretzky, l’ex-Catherine Kerry Brown, Adam Schlesinger et Jerry Freeman – nda). J’ai monté un studio d’enregistrement (Stratosphere Sound, en 99 à Manhattan avec deux producteurs-songwriters réputés, Andy Chase et Adam Schlesinger du groupe Ivy – nda) et produit d’autres artistes (comme Cat Power et Michael Stipe dans le cadre de Monsieur Gainsbourg Revisited, un album hommage à Gainsbourg, Stipe encore et Chris Martin dans celui d’In The Sun, un EP digital caritatif pour les victimes de l’ouragan Katrina, et le groupe de folk America pour l’album de leur retour, Here & Now – nda). Ce n’est qu’alors que j’ai ressenti l’étincelle, et que je me suis mis à ce disque. 

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La musique est-elle plus que jamais au cœur de ta vie aujourd’hui ?

La musique sera toujours le centre de mon univers. Après la séparation des Pumpkins, j’ai pris un nouveau départ. Le chemin est plus sinueux, la route accidentée, mais le voyage n’en est que plus beau et plus grand.

Dans les années 90, l’aura des Smashing Pumpkins, de ton look et de ton jeu de gratte t’avait propulsé « icône rock » alors que tu es quelqu’un de plutôt discret, effacé. Qu’est-ce que ça te fait d’être sorti de ce contexte ? Après tout ce silence ne crains-tu pas que le public t’ait oublié ?

Je ne me préoccupe que de la musique et du disque. Je n’ai aucune emprise sur le temps et sur l’image que les gens se font de moi. Mais je suis content s’ils se souviennent de moi ou du groupe.

Quels souvenirs as-tu de ton premier album solo ? Quelles sont tes ambitions avec son successeur ?

A l’époque, j’ai été ravi de faire un disque qui n’était qu’à moi et qui était différent de ce que faisait le groupe. Mon ambition était donc de faire un autre disque qui reflète où j’en suis aujourd’hui, et qui soit donc plus éclectique et énergique. Il comporte donc des tonalités plus électriques et électroniques car ces dix dernières années – ce n’est pas une surprise – j’ai été influencé par plein de choses différentes.

Ce qui surprend, c’est ce titre que tu as placé en milieu d’album : « Appetite ». Il est assez expérimental comparé au mood pop de l’album. Certains journalistes l’ont d’ailleurs décrit comme une imitation du « Nightclubbing » d’Iggy Pop. Pourquoi ce soudain appétit de dé(con)struction ?

Héhé ! J’apprécie que tu trouves cette chanson bizarre, mais elle a tout à fait sa place ici. Elle provient du même endroit que les autres.

Pourquoi avoir donné un titre aussi fade que Look to the Sky à ce disque ?

J’ai pensé que ce titre évoquait une action et une attitude pleine d’énergie et d’étonnement envers la vie. C’est dur d’exprimer tout ça dans un titre, en quelques mots, mais c’est ce qu’il signifie pour moi.

Pourquoi as-tu choisi de t’inspirer du film L’homme qui venait d’ailleurs – connu pour avoir David Bowie comme acteur – pour le clip du single « To Who Knows Where » ? Est-ce parce que Bowie a une place particulière dans ton éducation musicale voire même ton rapport à l’image ?

Bowie a toujours été une source inspiration pour moi et quelques chansons sur l’album me font penser à lui : « Dark Star », « A String Of Words », « Appetite ». Je me suis bien amusé à faire ce clip. Pourquoi je m’y suis inspiré de ce film ? Parce que c’est un super point de départ et une super toile de fond pour faire un vidéo clip !

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A propos de Bowie, as-tu écouté « Where Are We Now ? », son nouveau single ? Si oui, qu’en penses-tu ?

C’est une légende, une icône. Je suis content qu’il soit de retour. « Where Are We Now » ? Je l’ai écouté oui. Belle chanson, beau texte.

Comment as-tu découvert et fait ton apprentissage de la pop ?

De la pop ? Elle nous entoure où qu’on se trouve depuis notre plus jeune âge.

Tu es plus connus pour avoir joué pour les Smashing Pumpkins et A Perfect Circle, deux groupes de rock assez « heavy », mais ta propre musique a toujours été plus calme, « radiofriendly », soft rock. Qu’est-ce que cela t’évoque ?

Une personne a plusieurs facettes. Moi aussi. J’aime la musique « heavy » et la « pop » et je ne pense pas que ce soit étrange d’aimer deux genres de musique ou deux genres de groupes qu’on dit « opposés », comme ce n’est pas étrange de créer quelque chose qui n’est pas exactement conforme à ce que produisaient les groupes dans lesquels j’ai joué.

Tu étais considéré comme un des meilleurs guitaristes de rock dans les années 90. En avais-tu conscience et sais-tu ce qui rend ton jeu de guitare si particulier ?

J’aimerais penser que j’ai ma propre façon de faire de la musique ou mon propre jeu de guitare mais je ne me vois pas comme ça, ni comme l’un des « meilleures guitaristes rock des années 90 ». Je suis flatté si certains pensent ça, mais je ne me sentirais pas libre de faire la musique que j’aime si je vivais avec la pression d’une telle réputation.

Quels sont les guitaristes et les groupes qui te stimulaient au cours des années 90 ?

Cette époque a eu de grands groupes et de grands songwriters. Parmi eux, j’aimais Elliot Smith, Jeff Buckley et Slayer.

Aujourd’hui, qu’écoutes-tu ? 

J’aime plein de choses, comme Beach House, les Kinks, My Bloody Valentine, Django Reinhardt, The Bird and the Bee…

Avec quels artistes souhaiterais-tu collaborer ? 

Il y en a plein. Pourquoi pas ceux que je viens de te citer ?

As-tu une chanson favorite, que tu places au-dessus de tout ?

J’en ai tellement que je ne peux pas toutes te les dire. Mais là, comme ça, je dirais « Ashes To Ashes » de David Bowie, « Raining In Blood » de Slayer, « The Ghost In You » des Psychedelic Furs et « Closer » de Tegan And Sara.

Tu as collaboré avec plusieurs groupes des Pays-Bas : Vanessa and the O’s (Suède), Annie (Norvège), A Camp (Suède). Pourquoi ce penchant pour la pop nordique ?

J’ai de bons amis en Suède et j’ai toujours trouvé leur scène musicale très vivante. Qui plus est, ils ont de belles fringues (en 2001, avec son manager, il a lancé une marque de fringues japonaise, Vaporize – nda).

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J’ai appris que ton credo était une phrase tirée d’une chanson de Bon Jovi, « Wanted Dead or Alive » : « I’ve seen a million faces, and I’ve rocked them all. » Aimes-tu la musique de Bon Jovi. Je dois dire qu’un des premiers CD que j’ai acheté fut Crossroads, leur best of de 94, alors que j’avais 14 ans…

Jon Bon Jovi est un bon performer et un songwriter sous-estimé.

Il y a un an, EMI a commencé à rééditer la discographie des Smashing Pumpkins. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

C’est super que tout ça soit remasterisé pour une nouvelle génération !

Vis-tu encore confortablement grâce aux bénéfices issus de la musique des Pumpkins ?

La cuvette de mes toilettes est plaquée or… Je plaisante !

Quel est ton album préféré des Pumpkins et pourquoi ?

Siamese Dream et Mellon Collie sont les albums préférés des fans et c’est aussi les miens. Super chansons, super époque, super albums.

As-tu écouté Zeitgeist et Oceaniales deux derniers albums estampillés Smashing Pumpkins que Billy Corgan a sorti depuis la reformation du groupe sans toi et D’arcy ? Si oui, qu’en as-tu pensé ?

Je ne les ai pas écouté mais je passe régulièrement à côté de plein de disques. 

J’imagine que la dernière frasque médiatique de Billy Corgan ne t’a pas échappée. Il a dit : « Je pisse sur ces putains de Radiohead, à cause de ce système de valeurs qui dit que Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead) a plus de valeur que Ritchie Blackmore (guitariste de Deep Purple). Pas dans le monde dans lequel j’ai grandi, mec, pas dans mon monde. (…) Est-ce que Ritchie Blackmore est un meilleur guitariste que moi et Jonny Greenwood ? Oui. Est-ce qu’on a tous deux apporté des choses ? Oui. Je ne remets pas ça en cause. J’attaque juste cette bêtise selon laquelle « ça » vaudrait mieux que « ça ». Ça me rend dingue. » Que penses-tu de tout ça, de ce qu’il dit sur ce « système de valeurs » et de cette guéguerre Smashing / Radiohead ? Je dois dire que ces deux groupes sont sans doute mes groupes de rock préférés, ceux qui m’ont procuré parmi mes plus fortes expériences esthétiques jusque-là…

Tu me demandes ce que je pense de ce que pense un musicien d’un autre musicien ? Hé bien, c’est une façon de voir les choses. Je pense que Radiohead est un bon groupe qui fait de bons disques. Les gens se disputent tout le temps dès qu’il s’agit d’élire les meilleurs disques, groupes ou guitaristes de tous les temps. Mais c’est dur de comparer deux artistes que trois décennies séparent. Disons juste que ces deux groupes valent le coup et qu’ils font plein d’heureux.

Es-tu encore parfois imprégné de l’univers des Pumpkins et d’une pensée pour Corgan quand tu écris tes propres chansons ?

Non.

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